La protection sociale des salariés est aujourd’hui tiraillée entre deux impératifs : maîtriser des coûts en hausse constante et répondre aux attentes croissantes des collaborateurs. Dans ce contexte, la complémentaire santé, et plus particulièrement le poste Optique, illustre bien ces enjeux d’équilibre entre performance économique et attractivité RH.
Parmi les garanties Frais de santé, le remboursement des lunettes occupe une place singulière : à lui seul, il peut représenter jusqu’à 25 % du budget des complémentaires santé.
Mais est-ce réellement prioritaire ?
Ne faudrait-il pas réaffecter une partie de ce budget vers des garanties plus essentielles, répondant aux vrais besoins de santé des salariés ?
La vocation d’une complémentaire santé
Revenons au principe même de l’assurance santé : protéger contre l’imprévisible.
Son rôle est de mutualiser les risques et de prendre en charge les événements majeurs, ceux qui peuvent fragiliser l’équilibre financier d’un ménage ou mettre en péril la santé d’un individu.
Dans cette logique, une complémentaire santé doit d’abord cibler les postes à fort impact : une hospitalisation imprévue, des soins dentaires lourds, une prothèse onéreuse, ou encore la prise en charge de pathologies chroniques.
Autant de situations qui, sans couverture adaptée, peuvent représenter un coût insurmontable pour un salarié et sa famille.
Pourquoi l’optique pourrait devenir un levier d’ajustement ?
Tout d’abord, son poids budgétaire en fait une cible évidente. Avec près d’un quart des dépenses allouées à l’optique, une optimisation même modérée pourrait dégager des marges significatives pour renforcer d’autres postes, comme le dentaire ou l’hospitalisation, où les restes à charge sont bien plus lourds.
Ensuite, le 100 % Santé reste largement sous-exploité en optique. Pourtant conçu pour éviter tout reste à charge, il n’est choisi que par moins de 20 % des salariés. Ceux-ci lui préfèrent des équipements plus coûteux, perçus comme plus rassurants et synonymes de qualité. Ces verres et montures haut de gamme, largement remboursés par les contrats collectifs, laissent souvent un reste à charge minime – juste assez pour renforcer l’impression d’un équipement premium. Un paradoxe se dessine : plus les garanties sont généreuses, plus les assurés se tournent vers des options onéreuses, et moins le 100 % Santé est adopté.
Enfin, les verres de confort sont très rarement une priorité médicale. L’ultra-amincissement des verres, les traitements rendant l’œil plus « zen » ou « moins fatigué », ou encore les verres dits « intelligents »… ces options, bien qu’appréciées, ne relèvent pas d’un besoin critique.
Réallouer une partie du budget Optique vers des postes plus urgents — prévoyance, dentaire, hospitalisation — semble presque une évidence.
Mais attention : ce qui paraît simple en théorie peut se révéler complexe en pratique.
Les écueils à éviter
Le premier risque serait de sous-estimer l’impact symbolique d’une réduction des garanties optiques. Pour nos salariés, la complémentaire santé est un avantage acquis, un marqueur de leur bien-être au travail. Toucher à l’optique, même pour rééquilibrer les budgets, peut être perçu comme un recul — surtout si la mesure est mal expliquée ou imposée sans concertation.
Le deuxième piège est celui de l’iniquité. Si nous réduisons les remboursements sans distinction, ce sont souvent les salariés les plus modestes qui en pâtiront. Ceux qui ne peuvent pas compléter par leurs propres moyens pour des verres de confort.
Enfin, il y a le danger de donner le signal d’un désengagement plus large. Si nous commençons par l’optique aujourd’hui, nos salariés pourraient craindre que le dentaire ou l’hospitalisation soient demain sur la sellette. La complémentaire santé perdrait alors son rôle de filet de sécurité global pour devenir un outil de couverture minimaliste — ce qui n’est pas souhaitable.
Comment ajuster l’optique sans tout remettre en cause ?
La solution ne réside pas dans une suppression brutale des garanties, mais dans un rééquilibrage intelligent et équitable.
D’abord, distinguer clairement l’essentiel du superflu. Maintenir — voire renforcer — les remboursements pour les verres techniques, ceux qui corrigent des pathologies lourdes et handicapantes. En revanche, limiter les prises en charge pour les options de confort en les cantonnant à un forfait modéré, voire très modéré.
Ensuite, faire du 100 % Santé la référence plutôt que l’exception. Communiquer activement sur ses avantages — pas de reste à charge, qualité garantie — et inciter financièrement les salariés à s’y tourner. Par exemple, en réduisant les remboursements pour les équipements hors 100 % Santé, ou en proposant des avantages pour ceux qui adoptent cette solution.
Enfin, impliquer les partenaires sociaux (Commission Mutuelle, CSE, etc.) en les rendant acteurs de la démarche et co-constructeurs de la protection sociale des salariés qu’ils représentent. Leur expliquer pourquoi il est nécessaire de réallouer une partie du budget optique vers des postes plus critiques. Leur montrer que ces ajustements ne sont pas une contrainte imposée, mais un investissement ciblé pour renforcer la protection là où les besoins sont les plus urgents. Et surtout, les sensibiliser davantage au contexte conjoncturel dans lequel évolue aujourd’hui le marché de la protection sociale complémentaire.
Donner du sens aux choix
L’optique – le remboursement des lunettes – peut devenir une variable d’ajustement dans nos complémentaires santé. Mais ce n’est pas une fatalité : ce sujet peut aussi être l’occasion de repenser l’équilibre global des garanties. Faut-il recentrer sur l’essentiel, ou au contraire assumer un positionnement premium en matière de protection sociale ? Tout dépend de la stratégie de l’entreprise.
Si l’ajustement est retenu, il doit s’accompagner d’explications claires, d’une implication des partenaires sociaux et d’une réallocation équitable des budgets. Si l’excellence est choisie, il faudra en assumer le coût et en faire un argument fort de marque employeur.
Dans tous les cas, la clé réside dans la transparence et la participation : les collaborateurs doivent comprendre les enjeux, être associés aux choix et percevoir que leurs intérêts demeurent au cœur des décisions.
En définitive, la question n’est pas seulement de savoir si l’optique doit rester prioritaire, mais de vérifier que l’ensemble des dispositifs frais de santé et prévoyance est réellement aligné avec les besoins des salariés et les enjeux clés de l’entreprise. D’où l’importance pour chaque organisation de réaliser régulièrement un audit de ses régimes, afin d’en mesurer la pertinence et l’efficacité.
Une protection sociale bien calibrée n’est pas un simple poste de dépenses : c’est un investissement stratégique qui protège, valorise et fidélise les collaborateurs, tout en renforçant l’image sociale de l’entreprise.
DREES – Les dépenses de santé en 2024 – Résultats des comptes de la santé – Édition 2025
YesWeHave – Conseil RH dans l’optimisation et la valorisation des avantages sociaux d’entreprise
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